L'Anthropocène et la destruction de l'image du Globe
Traduction française par Franck Lemonde de la quatrième conférence Gifford « Facing Gaia-Six Lectures on the Political Theology of Gaia » prononcé en Février 2013, à Edimbourg pour un livre sous la direction de Emilie Hache: De l'univers clos au monde infini, éditions Dehors, Paris, pp.27-54.
Ce qui fait de l'Anthropocène un repère clairement détectable bien au-delà de la frontière de la stratigraphie, c’est qu'elle est le concept philosophique, religieux, anthropologique et, comme nous allons le voir, politique le plus pertinent pour échapper aux notions de « Moderne » et de « modernité ». Mais ce qui est encore plus extraordinaire, c'est qu'elle est le produit du cerveau de géologues sérieux, honnêtes et aguerris qui, jusqu'à récemment, avaient été totalement indifférents aux tours et détours des humanités. Aucun philosophe postmoderne, aucun anthropologue, aucun théologien libéral, aucun penseur politique n'aurait osé situer l'influence des humains à la même échelle que les fleuves, les inondations, l'érosion et la biochimie. Au moment même où il devenait à la mode de parler d'une « ère post-humaine » avec l'humeur blasée de ceux qui savent que le temps de l'humain est « dépassé », l' « anthropos » est de retour — et de retour pour se venger — grâce au travail empirique ingrat de ceux que l'on appelait jadis les « naturalistes ». Ce que les divers champs des humanités, malgré leur sophistication, obsédés par la défense de la « dimension humaine » contre « l'empiètement illégitime » de la science et les risques d'une « naturalisation » excessive, ne pouvaient détecter, c'est aux historiens de la nature qu'il revient de le dénicher. En donnant une dimension totalement nouvelle à la notion de « dimension humaine », ce sont eux qui proposent le terme le plus radical qui doit mettre fin à l'anthropocentrisme ainsi qu’aux anciennes formes de naturalisme en mettant soudain au second plan l'agent humain auquel ils offrent pourtant un tout autre rôle.