Jubiler ou les difficultés de l’énonciation religieuse
Date: 2002
Publisher: Les Empêcheurs
2013
republication La Découverte
Language: Français
Jubiler —ou les tourments de la parole religieuse, voilà ce dont il voudrait parler, voilà ce dont il ne parvient pas à parler : il a comme un bœuf sur la langue ; un embarras de parole ; impossible d’articuler ; il ne parvient pas à partager ce qui, depuis si longtemps, lui tient tellement à cœur ; devant ses parents, ses proches, il est obligé de dissimuler ; il ne peut que bégayer ; comment avouer à ses amis, ses collègues, ses neveux, ses élèves ? Il a honte de ne pas oser parler et honte de vouloir parler quand même. Honte aussi pour ceux qui ne lui facilitent pas la tâche, qui lui enfoncent la tête sous l’eau en prétendant le secourir, qui lui jettent, au lieu de bouée, des mots lourds comme un corps-mort. Plombé, voilà on l’a plombé. Oui, il va à la messe, souvent, le dimanche, mais ça ne veut rien dire. Hélas non, cela ne veut vraiment rien dire ; cela ne peut plus rien dire à personne. Il n’y a plus de diction pour ces choses là, plus de ton, de tonalité, de régime de parole, d’énonciation. Situation tordue : il a honte de ce qu’il entend le dimanche du haut des chaires quand il se rend à la messe ; mais honte aussi de la haine incrédule ou de l’indifférence amusée de ceux qui se moquent de ceux qui s’y rendent. Honte quand il y va, honte quand il n’ose pas dire qu’il y va. Il grince des dents quand il entend ce qui se dit à l’intérieur ; mais il bouillonne de rage quand il entend ce qui se dit à l’extérieur. Il ne lui reste qu’à baisser la tête, lassé, moutonnant, devant les horreurs et mécompréhensions du dedans comme devant les horreurs et mécompréhensions du dehors ; double lâcheté, double honte, et toujours pas les mots pour le dire, comme saisi entre deux courants de sens contraire dont la résultante le laisse tourbillonnant sur place.