Paris ville invisible (avec Emilie Hermant) réédition du livre de 1998 avec une nouvelle mise en page
Date: Novembre 2021
Publisher: B42
Il y a maintenant plus de vingt ans, je discutais avec Émilie Hermant, photographe amateur qui travaillait avec moi à l’École des Mines avant de devenir une chercheuse et une activiste de grand renom, de la manière dont je pourrais faire partager à d’autres ce sentiment étrange de ne pas du tout comprendre ce que voulait dire le mot « collectif ». Comme tout le monde, je lisais des livres, des journaux, des mémoires, des enquêtes où l’on ne cessait de relater l’existence de « phénomènes collectifs », mais voilà, je ne comprenais pas quel instrument de mesure permettait de considérer les dits phénomènes comme « plus grands » ou « plus petits » que les interactions dans lesquelles je me sentais à tout moment plongé. Et quand mes amis sociologues se moquaient de moi qui ne parvenait pas à ranger les phénomènes du plus grand au plus petit, du « macroscopique » au « microscopique », en un zoom presque aussi continu que celui d’une carte GPS qui permet (apparemment) de « naviguer », comme on dit, de la terre entière au Boulevard Saint Michel, je les regardais interloqués, incapable de naviguer aussi librement qu’eux. Comme un enfant buté, je ne voyais pas comment l’on pouvait quitter à aucun moment le niveau de l’interaction entre des gens situés entre quatre murs, ou dehors, sur un banc du Luxembourg, pour passer à des « phénomènes » comme « la France » ou « l’économie mondiale ». Dès que j’entendais le mot « collectif », je me demandais aussitôt mais comment sont-ils collectés, ces phénomènes, où, par qui, à quel coût ?